Réunion de famille

La fille nouvellement et fraichement arrivée dans le domaine de son très cher et vénéré divin Père, prit place devant ce grand festin se tenant devant elle.

Mais quelle folie, elle toute mince, devoir manger tout ça, mais quelle idée avait son père, s'il voulait la marier ce n'est pas en la faisant engraisser de la sorte ...

Poliment elle prit place autour de la tablée, en saluant comme il convenait l'assistance présente.

C'est à pied que Marie-Victoire était arrivée au château, coupant à travers bois pour rejoindre la demeure de son grand-père. Malgré ses yeux aveugles il n'était pas un recoin du domaine qu'elle ne connut par cœur et quand bien même, son fidèle beauceron Titus se révélait un guide parfait. Bien sûr, il avait alors fallu se changer car il n'était point question de paraître avec une robe à l'ourlet couvert de boue et de mousse ! Pour l'occasion elle avait retrouvé avec une certaine mélancolie le confort douillet de la chambre qu'elle avait si longtemps occupé avant de prendre possession du manoir de sa mère... Tant d'événements s'étaient produits depuis lors qu'il lui semblait avoir vieilli de dix ans quand il ne s'était sans doute écoulé que six mois. Six mois cruels au cours desquels elle avait cessé d'être une enfant sans pour autant avoir jamais véritablement eu le loisir d'en être une.

Vêtue d'une robe de brocart parme à crevets crème qui soulignait son teint laiteux et les reflets cuivrés de sa chevelure d'or où était fichée une élégante tiare, la jeune fille pénétra dans la salle à manger familière avec toute l'aisance que lui procurait l'habitude. N'eut été son regard étrangement rêveur, il était impossible de deviner que la jeune Marie était aveugle. Mais il y avait plus que cela encore. Marie avait changé. Elle avait pris de l'assurance, cette assurance particulière aux personnes qui ont traversé des épreuves terribles et y ont survécu. L'enfante infirme et tremblante avait cédé la place à une jeune fille pleine de magnétisme, à la fois séduisante et intrigante, entre fragilité physique et force intérieure.

Aux bruits de vaisselle elle repéra aisément le buffet qui avait été soigneusement dressé et s'y dirigea. Les quelques voix qui provenaient de ce coin de la vaste pièce ne lui était pas familières, mais elle ne s'en alarma point comme elle l'eût fait jadis. Elle attendit patiemment que l'un de ses proches fasse son apparition afin de faire les présentations. Sans doute son grand-père ne tarderait-il plus d'ailleurs, car il était l'instigateur de cette réunion qui promettait force réjouissances.

Ursin faisait les cent pas dans la salle de séjour attendant que les invités arrivent.
Il goutait à quelques plats sous l'œil réprobateur sa tendre épouse.
Sa fille pris place dans le pièce, puis ce fut le tour de sa perle.
Sa délicieuse petite fille.
Qui grandissait si vite et si bien.

Ma petite fée, il m'en va falloir vous mener à Toulouse sous peu de jours.
Mais pour le moment nous allons peut etre pouvoir commencer les festivités.

La présence de son grand-père était l'une de ces trop rares occasions de sourire qui restaient encore à la jeune fille malgré les deuils et les épreuves. Sans doute parce qu'ils les avaient traversées ensemble. Comme toujours lorsqu'elle reconnaissait sa voix et l'odeur de cuir et d'encre qu'il dégageait, Marie laissa s'épanouir sur ses lèvres l'expression de sa joie et tendit les mains dans sa direction afin qu'il les étreignent.

- Grand-Père... murmura-t-elle en se haussant sur la pointe de ses délicates pantoufles de vair afin de déposer sur la joue parcheminée un baiser léger comme une aile de papillon. Comme vous m'avez manqué. Quelle joie ce sera de vous suivre en comté toulousain. Il y a si longtemps que nous n'avons partagé nos pensées ! Trop longtemps assurément. Lui confia-t-elle en serrant dans les siennes les mains calleuses de l'hospitalier.

Entre l'aïeul et la jeune-fille l'affection dépassait depuis longtemps le simple pouvoir des mots. Se toucher, se parler, était une douloureuse épreuve car ce contact charnel ne faisait qu'amplifier l'absence de ces autres qui s'en étaient aller au fil des années, les laissant seuls avec leur chagrin. Mais lorsqu'on aime, on chérit également sa peine, Marie ne le savait que trop. Aussi savourait-elle ces retrouvailles comme si, d'un seul coup, tous les absents s'en revenaient d'entre les morts pour partager leur réjouissance. Leur amour filial était scellé dans la douleur, dans le marbre des gisants aux yeux clos qui rêvaient, endormis en la crypte du domaine. Et la force grandissante de cet amour était le vivant témoignage de l'espoir qui n'avait cependant cesser de les unir. Souvenons-nous ensemble de ceux que nous aimions afin qu'ils survivent, était leur credo.

Sans se départir de son sourire resplendissant, Marie glissa sa main sur l'avant-bras de son grand-père afin qu'il la conduise auprès des invités auxquels elle serait présentée.

Voyant l'arrivée de sa nièce, la fille du Maître des cérémonies royales se leva et vint saluer Marie Victoire.

Bonjour ma nièce,

Il me semble être votre tante, une charge me vieillissant mais j'en suis comblée devant l'étalage de votre beauté.

Vous êtes merveilleusement magnifique et être la tante d'une aussi jolie personne me donne des ailes, à croire que c'est de famille, mon père, votre grand père fut un temps un très bel homme et toutes les femmes succombaient à son charme, bien entendu c'est toujours le cas, nous tombons sous son charme, mais ce n'est plus le même amour

Nous ne nous connaissons guère, me permettriez vous de vous questionner afin de savoir d'où venez vous?

Charmée par cet accueil, Marie inclina respectueusement la tête devant sa tante.

- Madame c'est un plaisir de vous rencontrer et je vous remercie infiniment de vos bonnes paroles à mon égard. Je suis, hélas, bien mal placée pour juger des charmes physiques d'autrui, ou de miens d'ailleurs, car mes yeux sont aveugles. Néanmoins, il me reste ceux du cœur qui sont sans aucun doute les plus perçants et les plus vrais, et ils me clament depuis toujours que vous avez raison en ce qui concerne grand-père ! S'amusa-t-elle à le chahuter. J'ai toujours subodoré qu'il avait été un bourreau des cœurs en son temps ! Il faudra que nous demandions à grand-mère de nous narrer vos exploits, je suis certaine que nous rirons beaucoup !

- Pour répondre à votre question, je réside habituellement en Gascogne, à Mont-de-Marsan en l'hôtel de grand-père, depuis la disparition tragique de mes parents il y a 10 ans. Mais cette terre ne portait que de mauvais souvenirs aussi ai-je décidé de venir m'installer sur nos terres de Comborn. Un séjour qui me sera d'autant plus profitable que j'y reçoit les soins du meilleur médecin du royaume. Un homme merveilleux qui croit possible de me rendre l'usage de la vue... A cette évocation, Marie n'avait pu retenir une rougeur subite qui farda délicieusement ses joues pâles d'un rose printanier. Quelque peu mal à l'aise elle préféra changer de sujet.

- Je ne cherche pas la pitié, et ne me sens pas le droit d'être plainte tant j'ai de bonheur au côté de mes grands-parents. Néanmoins, je reconnais que je souffre d'un grand isolement n'étant pas en mesure de partager l'essentiel des divertissements et occupations auxquelles s'adonnent les jeunes gens de mon âge. Vous trouverez sans doute cela futile... mais rien ne me plairait plus que d'apprendre à danser ! Elle rosit à nouveau, consciente de la frivolité de son propos. Et vous ma tante ? Auriez-vous le cœur à me parler de vous afin que je vous connaisse ?

Je suis enchantée d'en connaître davantage sur vous et puisque votre désir n'est de ne point être plaint, j'y succomberais en surmontant mon envie de vous consoler bien que cela est dur pour une tante d'être impuissante devant sa nièce.

*Reprenant son souffle*

Je vais donc accéder à votre requête en vous parlant de moi, pardonnez moi je m'exprime comme un juge *sourire*. Alors commençons, j'ai toujours vécu dans le Comté d'Armagnac et des Comminges, plus particulièrement dans la ville de Saint Lizier.
Ma vie ne se résume qu'à la politique, je n'y ai fait aucune place aux autres charmes de la vie.
Jusque là, j'ai toujours œuvré pour mon Comté, ce si beau pays producteur du si cher alcool, l'armagnac, que je ne consomme pas d'ailleurs *rire*

Je vous passe les méandres de cette carrière pour en venir au plus intéressant, je suis juge depuis 3 mois maintenant et c'est comme ça que j'ai fait la rencontre de votre Grand père durant l'affaire de la prise du château de Gascogne, et qui a bien voulu faire de moi sa fille légitime.

Tout ça pour finir, que je prépare mes dernières élections comtales actuellement, donc je suis bloquée en Armagnac pour encore 3 mois, mais après je n'aurais plus d'attache nul part, sauf ma famille, croyez moi, cela est peut être signe que votre Tante va vivre à vos côtés.

Venez donc alors en Armagnac, je vous ferai grand accueil dans mon pays


La plus grande des fêtes pour la perle des perles!

Marie rosit agréablement devant le compliment et se prit à partager l'enthousiasme de sa sémillante tante.

- Alors la chose est entendue ! Je me ferai une joie de venir vous retrouver bientôt ! Enfin... si grand-père m'y autorise... mais je crois qu'à nous deux il ne résistera pas longtemps !...